Lina Kostenko (née en 1930)


Lina Kostenko est une femme à principes au caractère masculin qui regarde la vie d'une manière analytique et même critique, qui a refusé le titre du « héros de l'Ukraine », ayant dit : « Je ne porte pas de bijoux politiques! » Elle est écrivain et poétesse dont les œuvres sont traduites en anglais, biélorusse, estonien, italien, allemand, slovaque et français, traductrice de la poésie lyrique polonaise, auteur des scénarios des films. Elle est aussi professeur honoraire de L’Université nationale « Académie Mohyla de Kyïv », docteur honoraire des Universités de Lviv et de Tchernivtsi.

Lina Kostenko est née le 19 mars 1930, à Rjychtchiv, dans la région de Kyïv, dans une famille des professeurs. En 1936, sa famille à déménagé à Kyïv où Lina a fini l'école secondaire.
Étant écolière, Lina fréquente l'atelier littéraire auprès de la rédaction de la revue « Dnipro » éditée par Andriy Malychko.
Ses parents lui ont inculqué dès son enfance des principes de la morale, des goûts esthétiques et éthiques. Son père était toujours un exemple pour elle et c'est lui qui connaissait 12 langues, qui était polyglotte-autodidacte et qui pouvait enseigner toutes les matières à l'école au plus haut niveau, a été arrêté comme ennemi du peuple et envoyé loin de sa famille pour 10 ans. La petite Lina ne pouvait pas accepter cette action du pouvoir et ne pouvait pas comprendre pourquoi on avait humilié son père si intelligent et bon.
Dans les années d'après-guerre, Lina a commencé à fréquenter l'atelier littéraire auprès de  l'Union des écrivains d'Ukraine. Ses talents, sa beauté aristocratique, sa curiosité, sa vision du monde et son savoir de décrire ce qu'elle a vu, sont restés pour toujours dans la mémoire de ses amis et de ses enseignants.
En 1946, Lina publie ses premiers poèmes. Elle entre à l'Institut Pédagogique M. Gorki (aujourd'hui l'Université pédagogique M. Drahomanov) à Kyïv, mais elle la quitte et va étudier à l'Institut de littérature M. Gorki à Moscou. Lina Kostenko termine cet Institut en 1956, et l'année suivante, elle publie son premier recueil de poésies « Les Rayons de la terre ». Le deuxième recueil « Les Voiles » est publié en 1958 et en 1961 sort encore un livre intitulé « Le Voyage du cœur ».
En 1962, son nouveau recueil de poèmes « L'Intégrale des étoiles » a été rejeté par la censure idéologique et il n'a pas vu le monde. Un autre livre « La Montagne du prince » a été rejeté, lui aussi, en 1972, mais cela n'était pas surprenant, car il était si audacieux pour cette époque-là que l'on ne peut même pas imaginer que ces œuvres auraient pu être imprimées. On a interdit à Lina Kostenko de publier ses livres ce qui a même mené à la disparition de son nom des journaux. La poétesse écrivait « dans le tiroir ». C'est à cette période-là que « Berestetchko », « Maroussia Tchouraï » et les poèmes qui sont entrés dans les recueils « Au-dessus des rives du fleuve éternel » et «L'Originalité» ont été écrits. Ces œuvres ont été imprimées seulement dans les années 1977 – 1987 quand la poétesse est revenue dans la poésie. Pour son roman en vers « Maroussia Tchouraï » et son recueil de poèmes «L'Originalité» elle a reçu le Prix ​​d'Etat Taras Shevchenko.  
En 1963, en collaboration avec A. Dobrovolsky, Lina Kostenko a créé le scénario du film  « Vérifiez vos montres »
En 1989 a été publié le recueil d'«Œuvres choisies ».
Le Consortium des éditeurs vénitiens lui a décerné le prix F. Pétrarque pour son livre « Les incrustations » édité en italien. En 1998, le Congrès mondial ukrainien de Toronto a décerné à Lina Kostenko la médaille de Saint-Vladimir.
En 1999, Lina a  écrit le roman en vers historique « Berestetchko » et aussi ses conférences (lues à L’Université nationale « Académie Mohyla de Kiev ») « L'Aura humanitaire de la nation » qui ont été publiées comme brochure à part.
 En 2000, Kostenko a été le premier lauréat du Prix littéraire et artistique international Olena Teliga. En outre, en 1992, le président de l'Ukraine lui a décerné le prix d'honneur et en mars 2000, la poétesse a été décorée de l'Ordre du Prince Yaroslav le Sage de V degré.
Les implications philosophiques et historiques nous font penser dès les premiers poèmes de Kostenko et continuent à le faire aujourd'hui. Elle est aussi auteur des livres suivants : « Lyutizh », « Le Puits de Tchyhyryn », « Une ancienne chapelle à Lemechi », « Knyaz Vasylko », « Tchador de Maroussia Bohouslavka », « Horyslava-Rohnida », « Le Triptyque des Drevlianes » et du poème dramatique « Élégie sur les frères non-d'azov » dans lesquels le lecteur peut trouver plein de faits historiques.
En 2010, « Les Notes d'un fou ukrainien », le premier roman en prose de Lina Kostenko, a été publié. Un programmeur de 35 ans cherche à surmonter les problèmes de communication dans la société actuelle.
En février 2011, un nouveau recueil de poèmes « La Rivière d'Héraclite » et aussi un autre recueil « Madonna des intersections » ont paru. Ils ont réuni des poèmes écrits avant et des nouveaux textes.
Le 9 avril 2012, à  l'anniversaire de Charles Baudelaire, a eu lieu la présentation de la monographie sur Lina Kostenko écrite par Ivan Dzuba. Le livre a été publié par la maison d'édition « Lybid’ ».
En 2012, l'écrivain a aussi reçu l'insigne « L'écrivain d'or de l'Ukraine ».  

Alla Tanasyuk

Quelques poèmes


Steppes 

Steppe verte, ni arbre, ni champ.
Steppe azur, ni nuages, ni pigeons.
Un soleil rouge,
lingot encore brûlant,
vogue avec lenteur entre elles.


Et toi, derrière lui
jusqu'au soir vagabondes
Es-tu las ? plonge, renversé dans l'herbe,
puis écoute, écoute,
jusqu'à n'en plus pouvoir
les fleurs de steppe qui, si doucement, respirent.

Traduit par Marie-France Jacamon



Le rire

Dans la rue — je l'entends par la fenêtre —
Une femme éclate d'un rire forcé.
Peut-être est-elle triste, cette femme, mais elle voudrait
Avoir envie de rire.
Et je regarde les rivières des rues obscures
Les têtes des joyeuses lanternes,
Coiffées de petites casquettes de fer blanc,
Et sur le haut appui de ma fenêtre,
Des marronniers offrent des fleurs blanches...
Et je regarde et pense à mes poèmes.
S'ils ont du chagrin — qu'ils soient tristes.
Du moins, qu'ils ne rient pas d'un rire forcé,
Car les gens sincères ferment les fenêtres.

Traduit par Marguerite Mathieu
La pluie

Il ne pleut pas souvent —
L'herbe s'est courbée, courbée...

Tu ressembles beaucoup au bonheur ;
Et le bonheur, je n'en ai pas l'habitude.

Et de nouveau, je me tais, à la fin.
Je te regarde passer, près de moi...

Comme les enfants des petites gares,
Qui suivent le train des yeux.

Traduit par Marguerite Mathieu


On évoque un conte de fées,
les comptines des jeux d'enfants,
les petits bateaux de poupées,
l'eau verdâtre des lacs dormants, —
et soudain un souffle d'enfance
passe dans votre âme, et l'on est
attiré vers le port ou l'anse,
— calme abri des bateaux-jouets, —
d'où partant pour un grand voyage,
on mit à la voile un matin,
sans prendre avec soi pour bagages

ni savoir,

        ni forces,

                ni pain.

Les mystères s'ouvraient en route,
Mais tout, de la joie au malheur,
N'avait rien de fortuit, sans doute,
Et laissait sa trace en nos cœurs.

Traduit par Cyrilla Falk

© Lina Kostenko, les traducteurs et la Librairie Oukraïnienne Éphémère

Destin

J'ai rêvé une nuit d'un étrange bazar
En plein air, en plaine campagne
On vendait des destins de toutes sortes
Pour des généreux, pour des avares
Et pour des clients de toutes sortes.

Il y en avait pour pas moins que des fils de roi
D'autres n'étaient faits que pour des pauvres mignons
On pouvait acheter un destin à un sou
D'autres en achetaient qui valaient des millions.

Certains payaient avec leur chance
D'autres payaient de leur conscience
Certains payaient de tout leur or
Et d'autres s'embarrassaient fort.

Les diseuses de bonne aventure comme des cartes
Tassaient les jours et se massaient près des clients
Les destins eux-mêmes pour moi s'assemblaient
Et parmi eux un seul se détourna.

Je regardai celui-là dans son visage clair
Et du fond de moi-même j'appelai son regard
— Qu'importe, me dit-il, tu ne me prendras pas
Mais de le dire, lui faisait mal au cœur.

— Je te prendrai peut-être
           — Non, tu sais bien
Dit-il d'un ton sévère
Pour moi il faudrait que tu donnes ta vie
Et moi en échange t'apporterais le chagrin.

— Mais alors, qui es-tu ?
           Et ton nom quel est-il ?
Pour être digne de me coûter si cher ?
— Poésie est ma sœur
           Et l'humaine vérité notre mère.
Je l'ai reçu et j'en ai fait ma loi.
Alors, grande merveille se fit :
La nuit passa, le songe finit
Mais le destin est resté avec moi.

J'ai un destin que j'ai choisi moi-même
Et qu'il m'arrive n'importe quoi
De rien ne demanderai compte
A mon destin, c'est moi qui l'ai choisi.
Traduit par Marie-France Jacamon


Et le calme chante comme une sirène.
Je n'ai pas besoin de cire, je ne suis pas Ulysse.
Les lions m'attendent et je suis attendu dans l'arène.
La vie ressemble toujours au Colisée.

Les gens tombaient toujours pour leur foi.
Ce sport éternel n'était pas inventé par nous.
C'est l'essentiel de plonger son regard dans les yeux des bêtes
Et tout simplement rester êtres humains.

Quand on me traduira dans l'arène,
Quand on lâchera une bête féroce contre moi,
Moi, je reconnaîtrai votre stupidité sans limite,
Votre rage grosse de vengeance !

C'est en moi qu'elle mûrit, ma révolte sacrée.
Je regarde dans votre brouillard saignant.
A mes bourreaux même à mon dernier instant
Je dirai droit comme ce premier des Chrétiens :

— Vous ne pouvez pas me brûler.
Votre feu est froid, il s'est déjà éteint,
Et vos lions sont à lécher mes pieds,
Et vos serviteurs vous ont trompés.
Traduit par Marie Venhrénivska

Extrait de : Victor Koptilov. Parlons ukrainien. Langue et culture. L'Harmattan. Paris. 1995 

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