Borys Antonenko-Davydovytch (1899-1984)



« ... notre littérature n’est pas un chemin à une gloire aisée, elle n’est ni un moyen de gagner la vie, ni un divertissement aux heures de loisir, elle est un honnête service à notre peuple, à la cause de peuple et à l’idée nationale »
Borys Antonenko-Davydovytch


Nouvelliste et journaliste de l’instinct et de la vision sociale aiguë, il s’intéresse peu à la lutte des mouvements littéraires et artistiques de son temps. Il y participe d’une autre manière - en travaillant le langage et le style de sa clairvoyante prose engagée. Par son écriture, il saisit les traits et les problèmes essentiels de l’homme de la décennie révolutionnaire. Dans les complications sans issue de la révolution et les nouvelles conditions politiques de l'Ukraine soviétique, il cherche passionnément des moyens concrets de faire revivre la culture et l’état national ukrainien. Un citoyen loyal de l'U.R.S.S., il paie ses recherches et son travail vigoureux avec plus de 20 ans d’emprisonnement et de bagne soviétiques en Sibérie. En 1956, il se trouve sur la liste de «réhabilitation» des répressions moscovites à côté de quelques survivants peu nombreux de la littérature ukrainienne des années 1920. Dès lors, il retourne en Ukraine où il écrit ses Nouvelles sibériennes qui verront le jour après sa mort, en 1989.


Borys Antonenko-Davydovytch (pseudonyme de Borys Davydov, ses autres noms de plume sont Bohdan Virnyi (ukr. fidèle) et V. Antonovytch) est né près de Romny dans la région de Poltava, dans une famille de conducteur de trains, Dmytro Davydov. Au cours de la Grande guerre, Dmytro Davydov est appelé sous les drapeaux. A 15 ans, Borys, orphelin de père, vit avec sa mère. Avant la Révolution russe, il réussit à terminer ses études secondaires au gymnasium, puis il fait ses études de physique et de mathématiques à l'Université de Kyïv (selon d'autres renseignements, à l'Institut polytechnique). Pourtant, les circonstances diverses l’empêchent de terminer ses études supérieures. Il comble cette lacune par l'autoéducation, ayant une mémoire excellente et une soif culturelle immense. Finalement, il obtient des fonds de connaissances plus grands que ceux qui se puisent à l’université. En 1918-1919, Borys accomplit son service militaire dans les rangs de l’armée de la première république ukrainienne (l’UNR - République Populaire Ukrainienne).
Après la révolution, Borys Antonenko-Davydovytch participe activement à la vie politique ukrainienne. Il devient membre du Parti communiste ukrainien (le PCU) et remplit même la fonction de secrétaire général de son comité local à Kyïv. Le PCU (1920-1925) est créé à partir d'une aile gauche du Parti ukrainien social-démocrate d’ouvriers et des restes des borot’bisty lors du congrès fondateur qui a lieu le 22 ou le 25 janvier 1920. C’est un parti soviétique officiel qui est aussi le parti opposé au pouvoir du Parti Communiste Soviétique (bolchévique) en Ukraine, ainsi qu’à sa filiale régionale – le PC(b)U. Le PCU lutte pour l'indépendance de l’Ukraine soviétique et l’appartenance autonome du PCU au Komintern (l’Internationale communiste). Dans un premier temps, Moscou reconnaît la légalité du PCU, mais, quelque temps après, craignant la croissance rapide de l’autorité du PCU, le soumet à une terreur sans merci. En même temps, le Comité exécutif du Komintern, dirigé de facto par les chauvinistes du Comité central du PCS (b), lors de sa réunion du 24 décembre 1924, décide de dissoudre PCU et d’inviter ses membres à rejoindre les rangs de PC(b)U. Ayant épuisé toutes les ressources de l'opposition légale, sans attendre arrestation ou l’«insertion» forcée au PC(b)U, B. Antonenko-Davydovytch quitte le PCU et désormais il devient journaliste et écrivain soviétique sans-parti. Un certain temps, il travaille comme rédacteur en chef d’une revue littéraire ukrainienne la plus connue d’époque, "Globus", qui publie les œuvres les plus intéressantes des écrivains ukrainiens, et il fait introduire dans la littérature ukrainienne plusieurs auteurs (Oleksa Vlyz’ko, Yuriy Yanovs’kyi, Marko Voronyi et beaucoup d’autres).
La vie-même divise l’activité littéraire de B. Antonenko-Davydovytch en deux périodes :
· La première période dure de 1923 jusqu’à 1933, c’est-à-dire à partir de la parution de sa première nouvelle Les deux derniers jusqu’à la publication du dernier recueil avant l’exil, un recueil de récits courts Locomotive 273.
· La deuxième période commence en juin 1957, l’année où B. Antonenko-Davydovytch revient à Kyïv après 22 ans d’exil et y reprend son activité littéraire.
Les 24 ans qui séparent ces deux périodes (de 1934 jusqu’à 1957) se révèlent morts ou perdus dans le génie créateur de l’écrivain.
La première période
Borys Antonenko-Davydovytch commence à écrire très tôt - pendant ses études au gymnasium : il écrit des poèmes, des récits humoristiques, des sketches satiriques. En 1916, dans un journal scolaire, est publié son essai Mon voyage au Caucase. Comme son auteur le reconnaît lui-même, cet essai est le premier échantillon des récits de voyages, le genre qui lui apporte plus tard la gloire (les recueils A travers la contrée ukrainienne, Zbroutch et d’autres). Les années de révolution ont freiné sa ferveur d’écriture, mais, déjà entre 1920 et 1921, il écrit beaucoup.
Borys Antonenko-Davydovytch publie ses premières œuvres en 1923 : ce sont la nouvelle Les deux derniers et le drame en quatre actes Chevaliers de l’absurde. Ces publications marquent le commencement de la première période de son activité littéraire. Au début de sa vie d’écrivain, il appartient au groupe littéraire ASPYS, fondé par Mykola Zèrov. Puis, avec Valeryan Pidmohylnyi, il crée et dirige le groupe littéraire Lanka (1924-1925) et le groupe qui est son héritier - MARS (1926-1928).

Sur la photo : Les membres du groupe littéraire Lanka en 1925. De gauche à droite : Borys Antonenko-Davydovytch, Hryhoriy Kossynka, Maria Galytch, Yèvhène Ploujnyk, Valeryan Pidmohylnyi, Todos’ Os’matchka.
Les premiers recueils de récits Silhouettes poussiéreuses (1925) et Toc, toc! (1926) sont encore marqués d’une influence de la prose lyrique, dominante à l'époque, mais aussi par l’autorité des œuvres de Volodymyr Vynnytchenko. Mais Antonenko ne se lance ni dans le style « dégingandé » de Hryhoriy Kossynka, ni dans le « psychologisme » de Volodymyr Vynnytchenko. Il essaie d'atteindre la couleur locale exacte des gens, des événements et de l'ambiance de la révolution. Cette précision pénétrante qui confronte les descriptions des mondes ukrainien et russe, apporte à l’auteur maintes complications.
Entre autres, c’est le récit La Mort (1927) qui lui cause beaucoup de soucis. Les critiques communistes font immédiatement une dénonciation publique de l'auteur. Ils soulignent que l'ambiance, l'environnement et surtout le personnage de Horobenko (membre du PC(b)U) décrits par l’auteur montrent l’incompatibilité complète dans une même personne d’un Ukrainien honnête devant son peuple et d’un communiste fidèle au Parti communiste russe. Le problème fondamental dans la Mort est le même que dans la nouvelle de Mykola Khvylovyi publiée deux ans plus tôt, Я (Romantica), c’est-à-dire, l’incompatibilité de l’humanisme et avec la morale et la doctrine communistes, l'impossibilité d'établir et de justifier la vérité de la vie à l’aide du Mal. Mais si Mykola Khvylovyi situe ce problème dans les dimensions philosophique et éthique (en introduisant l’antithèse de l'amour divin de la mère et la terreur tchékiste de la commune), Borys Antonenko-Davydovytch traite ce problème avec une autre antithèse: l'homme ukrainien et le Parti communiste russe. Dans un champ magnétique de ces pôles, existe un Ukrainien communiste Horobenko. Parmi les douloureuses hésitations et les humiliations permanentes de la part de ses camarades de parti, il arrive à une décision - il doit verser le sang fraternel ukrainien pour se débarrasser de l’insupportable sentiment de la médiocrité d’un Ukrainien dans les rangs de PCS(b) - PC(b)U. L'action du récit se passe en Ukraine, en 1920, quant la population rurale de l'Ukraine, mains armées, se défend contre la terreur et la violence de l'occupation russo-soviétique. Devant le lecteur, toute une galerie des types de membres du Parti passent – surtout les Russes et leurs complices ukrainiens. Il crée l'image exacte de l’organisation de la cellule du PCS (b) qui commet les massacres de paysans et piétine la culture ukrainienne. Certains épisodes, comme, par exemple, la conversation de la communiste Slavinova et d’un paysan sur la religion montre que les paysans avec leur sagesse sont au-dessus de la nouvelle classe dirigeante communiste.
En 1929, Borys Antonenko-Davydovitch publie un recueil de notes de voyage A travers la contrée ukrainienne. C’est un journal de récits magnifiques créés après ses voyages à travers l’Ukraine. A présent, 80 ans après, ce reportage peut être lu avec le même intérêt qu’au moment de sa première parution. L’œil perçant et la réflexion de l’observateur, la vision analytique des détails et des problèmes d’époque jusqu’aux profondeurs de l'histoire, Borys Antonenko Davydovych raconte les gens et les paysages de Dnipro, les mines de Donbass, la frontière occidentale, les villes et les villages, tout est décrit à travers le prisme de la lutte éternelle et malheureuse de l'Ukraine pour son propre chemin.
Après la sortie de ces essais, Borys Antonenko-Davydovytch parvient encore à publier un recueil de courtes histoires Un vrai homme (1929), un livre plein d'humour étincelant ; une petite histoire Un cachet (notes d’un activiste de Prosvita, 1928) et des extraits de son roman historique Sitche-mère (1927). Ce sont déjà les années de la fureur et de la terreur communistes des années 1929-33. En 1930-31, ayant perdu son travail à Kyïv, Borys Antonenko-Davydovytch s'installe à Kharkiv, la capitale de l’Ukraine d’époque. Mais il ne peut pas s’établir à la capitale et il revient à Kyïv. Vers la fin de 1933, il décide de partir en "exil volontaire" - au Kazakhstan. Il trouve le travail dans une édition d’état de Kazakhstan. Il a même les projets de rédiger deux grands ouvrages - l’anthologie de la littérature kazakhe en ukrainien et l’anthologie de la littérature ukrainienne en kazakh. Mais, le 5 janvier1935, à Alma-Ata, le NKVD le retrouve et le jette d’abord en prison et puis dans un camp de concentration.
Puis s'en suivent l'arrestation, l'enquête falsifiée, une comédie de tribunal, dix ans de bagne sibérienne, qui a duré de facto 22 ans. Très flexible et débonnaire, l’écrivain survit. Après la mort de Staline, santé brisée, il revient en Ukraine, sa patrie adorée, qui, pendant ce temps, a vécu et a supporté un autre examen terrible, la ruine de la Seconde Guerre mondiale. En tout, durant la première période de son activité littéraire, Borys Antonenko-Davydovytch publie 14 livres, ainsi qu’une grande quantité de récits, de critiques, d’articles dispersés dans toutes sortes d’éditions périodiques d’après-guerre.
La deuxième période
La Machine de la Terreur arrache l’écrivain à la vie active à l’âge de 35 ans. Il revient de l'exil, épuisé physiquement, mais moralement et spirituellement invincible, ce qui le sauve comme artiste et citoyen, lorsqu'il a ses 58 ans accomplis. Au cours ce son exil, l’écrivain perd tout espoir de reprendre l’activité littéraire. Mais après la mort de Staline, tout à coup, il est saisi de l’aspiration à l'écriture. Dans les conditions les plus douloureuses, sur des morceaux de papier occasionnel, à tout instant libre, il écrit... Grâce à ce travail long et ferme, un manuscrit important est mis à jour. Au moment où la liberté arrive, et Borys Antonenko-Davydovytch revient à Kyïv, et il apporte de l’exil la première version de son roman Derrière le paravent.
Borys Antonenko-Davydovytch commence sa « nouvelle » vie par un voyage à travers sa partie bienaimée qui lui a beaucoup manquée en Sibérie. Il enregistre les impressions de ce voyage merveilleux dans plusieurs essais touchants (parus en 1959 dans le recueil intitulé Zbroutch). L’année même, paraît la réédition d’un de ses premiers récits Les Ailes d’Artem Volant. C'est avec ces publications qu'on célèbre son soixantième anniversaire. Beaucoup de critiques littéraires, d’artistes et d’écrivains lui adressent leurs vœux sincères à l'occasion de son retour à la littérature. A l’époque de la « seconde jeunesse » de l’activité littéraire de Borys Antonenko-Davydovytch, de nouvelles œuvres paraissent de sa plume. Outre le recueil déjà cité, Zbroutch, et le récit Les Ailes d‘Artem Volant, il écrit et publie un grand nombre de nouvelles et de romans: Dans la famille libre et nouvelle (1960), Le Petit navire d’or (1960), un récit de mœurs sur la vie d’étudiants des années 1920 ; L’Offense, une histoire socio-psychologique de l'époque de la révolution ; La parole de la Mère (1960), Derrière le paravent (1963) , Sémène Ivanovytch Pal’oha (1965) et beaucoup d'autres œuvres, qui ne sont toujours pas recueillies dans ses œuvres complètes.
En 1967, un volume de ses œuvres choisies parait, accompagné d’une préface favorable du critique littéraire Leonid Boyko. Outre les œuvres littéraires, l’écrivain fait publier certains livres précieux sur la vie littéraire, la littérature et la langue ukrainiennes. Ses observations sur la création littéraire sont exposées dans les recueils d'articles: Sur quoi et comment (1962) et Dans la littérature et autour de la littérature (1964). Le livre De loin et de près (1969) est composé de silhouettes littéraires des auteurs classiques de la littérature ukrainienne : Taras Chevtchenko, Ivan Netchouy-Levyts’kyi, Panas Myrnyi ; des articles de critique littéraire et de théorie, et enfin, des souvenirs sur ses contemporains (Vassyl Ellan-Blakytnyi, Volodymyr Sossura, Maksym Ryls’kyi, Yèvhène Ploujnyk). Ses réflexions et ses observations célèbres sur la langue ukrainienne littéraire paraissent sous le titre Comment nous parlons (1970). Ce livre devient la dernière publication de Borys Antonenko-Davydovytch. A partir de 1971, les portes des maisons d'édition et des revues de l’Ukraine soviétique ont été de nouveau fermées devant ce maître de parole distingué et honoré.
Lors de plus de dix ans, l’éminent écrivain et le fils honnête de son peuple vit dans une isolation forcée du processus littéraire, de facto un bâillon dans la bouche. Et ce n’est que de temps en temps qu’une consolation lui vient, et elle vient de loin : une critique positive de son livre Comment nous parlons est publié dans une revue importante russe «Voprosy literatoury», une autre parait dans une revue de l’Académie des Sciences de Pologne «Slavia orientalis» (1972) ; une traduction en polonais de son roman Derrière le paravent est effectuée par Stanislav Rykhlitskyi («Za parawanem», 1974), les traductions de ses œuvres paraissent en Australie. A Varsovie, dans «Oukraïnskyi kalendar», dans l’article Le fils fidèle de son peuple, on le qualifie de «l’admirable connaisseur et admirateur ardent de notre langue de rossignol». Pour l’écrivain, ce sont, sans doute, des rayons de soleil dans une nuit noire de son existence. Borys Antonenko-Davydovytch est un écrivain profondément national et c’est pourquoi il est universel.
D'après : Lavrinenko Y., 1959, La Renaissance fusillée, Kyïv, Smoloskyp, 2007 (en ukrainien).

ŒUVRES de Borys Antonenko-Davydovytch

Publiées en Ukraine :
  • 1924 Les Chevaliers de l’absurde (drame)
  • 1925 Silhouettes poussiéreuses (récits, nouvelles, essais)
  • 1926 Toc, toc!
  • 1928, 1929 La Mort
  • 1929 Un vrai homme
  • 1930 A travers la contrée ukrainienne, Un vieux cheval, La Dentelle de glace, Le Bleuet bleu, Un cachet
  • 1932, 1959 Les Hommes et le charbon, Les Ailes d‘Artem Volant
  • 1933 Locomotive 273
  • 1959 Zbroutch
  • 1960 Dans la famille libre et nouvelle, Le Petit navire d’or
  • 1962 Sur quoi et comment (recueil d’articles)
  • 1963 Derrière le paravent
  • 1964 La parole de la Mère, Dans la littérature et autour de la littérature
  • 1970 Comment nous parlons (manuel de bon usage de l’ukrainien)
  • 1989 Les Nouvelles sibériennes, Les Notes trop élevées
Publiés à l’étranger (en ukrainien) :
  • 1954 La Mort (Londres)
  • 1955 A travers la contrée ukrainienne (Philadélphie)
  • 1972 Derrière le paravent (Melbourne)
  • 1979 Comment nous parlons (Baltimore), Cachet (Melbourne)
  • 1980 Comment nous parlons (New-York)
  • 1986 Deux cent lettres de B. Antonenko-Davydovytch (Melbourne)
En d’autres langues :
  • en russe : "Крылья Артема Летуна" (1963)
  • en polonais : "Za parawanem" (1974)
  • en anglais : "Behіnd the Curtіan" (1980), "Duel" (1986).
Œuvres à rechercher: 
Antonenko-Davydovytch, B. Duel. Trans. by Y. Tkach, Melbourne, Lastivka,1986.


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